vendredi 19 avril 2024

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DROIT sur L'ESPACE et PATRIMOINE NATUREL de KANAKY

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« Lorsque la France prend possession de la Grande Terre, que James Cook avait dénommé « Nouvelle-Calédonie », le 24 septembre 1853, elle s'approprie un territoire selon les conditions du droit international alors reconnu par les nations d'Europe et d'Amérique, elle n'établit pas des relations de droit avec la population autochtone. Les traités passés au cours de l'année 1854 et les années suivantes avec les autorités coutumières ne constituent pas des accords équilibrés mais de fait des actes unilatéraux.


Or ce territoire n'était pas vide.


La Grande Terre et les îles étaient habitées par des hommes et des femmes qui ont été dénommés Kanak. Ils avaient développé une civilisation propre, avec ses traditions ses langues la coutume qui organisait le champ social et politique. Leur culture et leur imaginaire s'exprimaient dans diverses formes de création. L'identité Kanak était fondée sur un lien particulier a la terre. Chaque individu, chaque clan se définissait par un rapport spécifique avec une vallée, une colline, la mer, une embouchure de rivière et gardait la mémoire de l'accueil d'autres familles: Les noms que la tradition donnait a chaque élément du paysage, les tabous marquant certains d'entre eux, les chemins coutumiers structuraient l'espace et les échanges.. »
 
Avec l'implantation du système colonial et occidental, le pays a intégré en la subissant, une nouvelle logique de domination dans les rapports de l'homme avec la nature et son environnement. Et s'il a beaucoup été question jusqu'ici de la situation sociale, économique et culturelle des Kanak, il y a une dimension qui n'est pas encore prise en compte, celle de son environnement physique et de son patrimoine naturel.


Depuis l'apparition des premières mines au XlXéme siècle, l'homme européen a marqué de son empreinte indélébile la nature calédonienne. Celle-ci a été assujettie et asservie pour servir l'homme occidental et sa soif de richesses et de puissances. C'est cette logique qui dans les conditions du XIXème siècle a donné pour résultat, ce que nous déplorons aujourd'hui : la population minière, la disparition des rivières lagons et forêts. Dans le secteur minier, ce sont plus de 210 millions de tonnes de minerais qui ont été extraites après le déplacement d'environ 2 milliards de tonnes de terres de roches et de végétations. 4.350.000 tonnes de nickel métal, du chrome, du fer, du cobalt, du cuivre et de l'or en quantités diverses ont enrichi les exploitants et contribué a asseoir une économie industrielle. En beaucoup de lieux, la pollution est irrémédiable sans que l'on puisse percevoir un bénéfice économique durable pour les populations autochtones concernées.


Cette logique de destruction, d'assujettissement et de domination de la nature par l'homme occidental a des fins mercantiles de profits a outrance, d'exploitation et de domination, a trouvé au niveau mondial ses limites avec les problèmes de pollution notamment les questions du réchauffement de la terre, de la couche d'ozone lesquelles interpellent aujourd'hui toute l'humanité. L'Homme a pris conscience que la nature et sa pérennité n'ont rien d'élastique et qu'il y a des seuils limites a ne pas dépasser. Citons dans le Pacifique les conventions d'Apia en 1976 et de Nouméa en 1986 ainsi que les grands sommets mondiaux, de Rio, de Kyoto et le Sommet de Johannesburg qui se déroule cette année.


Le pays en a pris conscience avec la pollution minière et les feux de brousse. Aujourd'hui mais c'est déja demain, il s'agira de sécheresse dans tout le pays et de pic de pollution dans Nouméa et le Grand Sud.


Compte tenu de ce passé et de cet état des lieux, la Nouvelle-Calédonie a besoin de se réconcilier avec son environnement et son patrimoine naturel. Cela passe par la reconnaissance de l'autochtone Kanak, de ses droits et responsabilités sur cet ensemble.
Nous affirmons que le moment est venu d'acter et de faire reconnaître en prolongeant l'esprit et la lettre de l'Accord de Nouméa, la conception autochtone Kanak du rapport a l'espace et patrimoine naturel et minier ainsi que les principes d'orientation du droit Kanak en la matière. C'est d'autant plus nécessaire, qu'il faut faire face en s'appuyant sur un socle solide - le fait autochtone - aux nouveaux défis industriels qui nous attendent, si nous ne voulons pas revivre dans d'autres conditions a l'échelle de notre petit pays dont l'écosystème est plus que fragile, des pollutions irréversibles. Ce serait la , la clé de voûte d'une vraie politique de maintien d'une bonne qualité de vie pour les citoyens du pays.


Considérant cet exposé ;


Considérant les différentes phases de l'évolution institutionnelle du pays marquée par le combat incessant du peuple Kanak 'pour la reconnaissance de ses droits dont celui fondamental, le droit inné et actif a l'autodétermination et a l'indépendance;


Considérant la signature de l'Accord de Matignon et d'Oudinot en 1988 ;


Considérant la signature de l'Accord de Nouméa le 5 mai 1998 dans lequel le Préambule consacre :


en 1 l'existence du peuple autochtone Kanak avec « .. une civilisation propre avec ses traditions ses langues la coutume qui organisait le champ social et politique .. L'identité Kanak était fondée sur un lien particulier a la terre... »


en 2 : l'existence des autres communautés


en 3 ; la reconnaissance des « .., ombres de la période coloniale même si elle ne fut pas dépourvue de lumière. Le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d'origine... »


en 4 ; que « .... Dix ans plus tard, il convient d'ouvrir une nouvelle étape, marquée par la pleine reconnaissance de l'identité Kanak, préalable a la refondation d'un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, et par un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté. Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L'avenir doit être le temps de l'identité, dans un destin commun. La France est prête a accompagner la Nouvelle-Calédonie dans cette voie... »


Vu, la persistance des effets négatifs de la déclaration n°18 du 20 janvier 1855 du Marquis du Bouzet, gouverneur des Etablissernents Francais de l'Océanie, par laquelle « le gouvernement se réserve exclusivement le droit d'acheter les terres occupées par les indigènes et la propriété, comme domaines domaniaux, de toutes les terres non occupées ainsi que les forêts bois de construction, mines et ressources de toute espèce qu'elles renferment ;


Etant donné les réalités actuelles dans le pays quatre ans après la signature de l'Accord de Nouméa ;


Considérant la situation d'extrême détérioration des espaces naturelles en particulier dans les anciennes mines et dans les lieux anciens d'exploitation minière et l'absence de politique pérenne de réparation de ces pollutions de la part des autorités politiques et administratives ;


Considérant les enjeux et défis industriels que doit relever le peuple Kanak en tant que peuple autochtone, dans ses droits collectifs et par rapport a son identité spécifique ;
 
Considérant la réaffirmation durant les 3 Djii Djariù (12, 13 et 14 juillet 2002), de la pérennité du mythe Autochtone, celui du patrimoine naturel et minier Kanak, symbolisé par le bois totems planté sur la mine de Gara par l'ensemble des autorités coutumières du Pays réunies autour des Chefferies de Gara et du Conseil Coutumier Djubéa-Kaponé, a qui, a été confiée la volonté des Vivants de protéger et de Garantir notre Pays contre les pollutions de toutes sortes et la pollution minière - industrielle en particulier.


Considérant que pour concrétiser l'esprit et la lettre de l'Accord de Nouméa, les autochtones Kanak au travers de l'engagement de leurs chefferies de leurs représentants officiels - le Sénat Coutumier et les huit Conseils Coutumiers - et du Conseil National pour les Droits du Peuple Autochtone Kanak, ont pour devoir de rétablir les droits collectifs du peuple Kanak et en particulier de les opposer a ceux qui ne voient dans le développement des grands projets économiques que. profits pour eux-mêmes et pour le système de domination occidentale. De se battre pour proscrire tout traumatisme nouveau amené par des nouvelles formes de colonisation.


Considérant la déclaration de Londres du 16 septembre 2001, signée par les représentants des peuples autochtones et des Organisations Non-Gouvernementales représentatives des Etats miniers du monde;


Les représentants du peuple Autochtone Kanak dans leur diversité, du Sud au Nord, de l'Ouest a l'Est jusqu'aux Iles Loyauté,
du fond des vallées et des sommets des montagnes a l'embouchure des rivières et aux plateaux et cocoteraies de nos îles au récif des îlots


descendants des totems animal, végétal ou minéral des clans de tout le Pays Kanak,


Réunis ce jour, 23 août 2002 a Nouméa


DECLARENT SOLENNELLEMENT :


1. Le Pays Kanak appelé officiellement depuis 1853, la Nouvelle-Calédonie, ne fait qu'un seul et même Pays. Les Fondements de cette unité renvoient a l'histoire ancestrale que l'histoire coloniale a durablement cimentée.


La Nouvelle-Calédonie comprend :
La Grande-Terre, l'île des Pins l'archipel des Bélep, Huon et Surprise, les îles Chesterfield et les récifs Bellone, les îles Loyauté (Maré, Lifou, Tiga, Beautemps¬Beaupré et Ouvéa), l'île Walpole, les îles de l'Astrolabe, les îles Matthew et Fearn ou Hunter, ainsi que les îlots proches du littoral.
 
2. Le peuple Kanak en général, les chefferies et les clans en particulier représentent la population autochtone. Cette réalité est rappelée dans le Préambule de l'Accord de Nouméa. Le droit Autochtone Kanak doit s'affermir sur le terrain. Le Sénat Coutumier et les Conseils Coutumiers ont pour mission de coordonner et d'organiser sa prise en compte. Le droit Autochtone Kanak doit être reconnu au niveau international et s'inspirer de l'expérience des peuples premiers du monde entier.


3. La Nature Calédonienne constitue en soi un patrimoine naturel dont le peuple Kanak d'une part et les autorités politiques et administratives d'autre part, assument et . gèrent l'héritage pour le transmettre dans de bonnes conditions aux générations futures. L'autochtone Kanak a cette responsabilité en tant que peuple premier, au nom de la continuité historique. Les autorités politiques et administratives le font au nom des citoyens et de l'Etat.


4. Au nom de cet héritage historique, le sol, le sous-sol, les espaces naturels marins et terrestres constituent avant tout, le patrimoine du peuple Kanak. Les autorités administratives et politiques ne peuvent décider de la transformation de ce patrimoine sans le consentement éclairé, préalable et écrit de la population autochtone concernée, lequel sera donné dans les formes requises. Pour tout projet jugé inacceptable, les autorités coutumières feront valoir leur droit de Veto.


5. Dans le cadre de la réparation des injustices passées les moyens d'une réelle politique de réhabilitation des anciennes mines forêts et des anciens lieux d'exploitations du patrimoine naturel doivent être mis en place par les autorités du pays.


6. Tous les grands projets économiques de mise en valeur des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables impliqueront dans l'avenir que des moyens soient mis en place, permettant aux autorités coutumières Kanak, d'être des acteurs et d'être en mesure de reconstruire de nouveaux équilibres dans ces espaces en mutation.


7. Toute exploitation des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables devra prendre en compte, les intérêts des populations locales environnantes ainsi que l'intérêt du Pays au travers de la prise de participation des provinces des communes et de la Nouvelle-Calédonie.


8. Toute exploitation des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables fera l'objet de versements d'un capital patrimoine, déterminé en fonction de la valeur intrinsèque de la matière première traitée, dans des « Fonds pour le patrimoine autochtone Kanak », gérés par les populations autochtones selon des principes préalablement arrêtés.


9. Pour tout projet économique et industriel d'envergure, la transparence totale en matière de lutte contre la pollution et de protection de l'environnement, est exigée. Un dispositif d'analyse, de contrôle et de suivi indépendant sera installé, financé par le projet, sous l'autorité des coutumiers. Dans le souci de préserver l'espace naturel et les intérêts du Pays un code de l'environnement s'inspirant des textes internationaux et sera mis en place dans les meilleurs délais.


10. L'aménagement de l'espace et son contrôle doit permettre de corriger les injustices du passé et de prévenir tout traumatisme nouveau dont serait victime la population Kanak des régions industrialisées. Les autochtones Kanak seront acteurs dans la définition des schémas d'aménagement et devront assurer le contrôle de territoires importants permettant de limiter dans le temps et l'espace les opérations de spéculations foncières.


11. Les emplois directs offerts par les projets industriels doivent s'afficher clairement en termes d'objectifs de Rééquilibrage. Compte tenu de l'expérience acquise, le système de Quota apparaît aujourd'hui comme le moyen le plus sincère et le plus performant pour réussir ce pari.


12. La démarche coutumière pour libérer les espaces nécessaires aux projets et donner les autorisations correspondantes devront dorénavant être suivi. Celle-ci doit précéder toutes les autorisations administratives. Elles concernent d'abord, le ou les clans impliqués par le lien a la terre et la chefferie concernée par l'espace coutumier, lieu d'implantation du projet. Ensuite seront saisis par la chefferie concernée les autres chefferies environnantes puis le Conseil Coutumier et enfin le Sénat Coutumier.


13. Est exigé l'abrogation de tout texte portant atteinte a l'identité et l'intégrité du peuple Kanak.



Les SIGNATAIRES :


Georges MANDAOUE, Président du Sénat Coutumier de la Nouvelle-Calédonie
Stanislas GAÏA, Sénateur Coutumier de l'Aire Djubéa-Kaponé
Christian TAMAÏ, Sénateur Coutumier de l'Aire Xaracuu
Pierre ZEOULA, Sénateur Coutumier de l'Aire Drehu
Clément PAÏTA, Président du Conseil Coutumier Djubéa-Kaponé
Mickaël MEUREUREU-GOWE, Président du Conseil National pour les Droits du Peuple Autochtone et les représentants des collèges associatif, politique, syndical et religieux.


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