Les parlementaires qui ont participé cette mission sont : François ALFONSI, député européen de Corse, membre du groupe Verts-ALE au Parlement européen, José BOVE, député européen du Sud Ouest, membre du groupe Verts-ALE au Parlement européen, Alima BOUMEDIENNE-THIERY, sénatrice Verte d'Ile de France, Karima DELLI, députée européenne de Paris, membre du groupe Verts-ALE au Parlement européen, Jean DESESSARD, sénateur Vert de Paris.
La délégation du Comité de soutien aux prisonniers formé par différents syndicats, partis et associations, reçue Paris dans les locaux du Sénat, et Strasbourg dans les locaux du Parlement Européen en septembre dernier, avait insisté sur le caractère arbitraire de la condamnation de Gérard Jodar et sur les conditions absolument indignes de sa détention, ce qui a motivé la constitution de cette mission informelle pour enquêter sur cette situation.
Aussi notre délégation, conformément au droit reconnu aux parlementaires français, étendu aux parlementaires européens depuis le vote de loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, s'est rendue la prison de Nouméa, dite du Camp Est, les mercredi 6 et jeudi 7 janvier. Nous avons également rencontré les proches de Monsieur Jodar, sa famille et les membres du syndicat USTKE, ainsi que son avocate, Maître Cécile Moresco. Enfin, nous avons assisté l'audience de la cour d'appel saisie d'une demande de mise en liberté.
En premier lieu, nous avons rendu visite au Sénat coutumier de Kanaky, représentant légitime de la nation kanak, et sollicité son agrément pour notre démarche. Les valeurs du respect et de l'hospitalité sont essentielles dans la culture kanak. S'il en avait été tenu compte au cours des siècles, bien des drames auraient été évités. Par ailleurs, au terme de nos contacts relatifs l'affaire Jodar, notre délégation s'est rendue au Congrès de Nouvelle Calédonie alors qu'il siégeait en séance publique. Sa présence y a été saluée par le Président Martin la demande de M. Louis Kotra Uregei, élu du Parti Travalliste.
Enfin, en préambule ce rapport, nous tenons souligner que notre mission a été très correctement accompagnée par les responsables de l'administration pénitentiaire rencontrés sur place.
Nos observations nous amènent aux conclusions suivantes :
1/ Concernant le cas de Monsieur Jodar et des deux autres responsables de l'USTKE encore en détention suite aux condamnations du 15 septembre 2009 :
- les condamnations successives de Monsieur Gérard Jodar, qui lui doivent d'avoir été incarcéré sont toutes relatives des conflits sociaux. Elles relèvent d'actions syndicales dont il a été jugé responsable par le tribunal es qualité de Président du syndicat. La lourdeur de la peine actuellement en cours, 21 mois de détention au total cumulant les peines prononcées de prison ferme et le sursis de la première peine dont la révocation est consécutive la deuxième condamnation, au regard des infractions telles qu'elles ressortent du dossier, nous permet de penser que jamais une condamnation comparable sur des faits similaires n'aurait été prononcée en métropole. Notre avis est que la magistrature locale s'est prononcée sous la pression politique et non en toute sérénité, et il est certain que l'engagement politique indépendantiste de Monsieur Jodar et de ses amis de l'USTKE est l'origine de la sévérité des condamnations prononcées. Nous avons été amenés faire part la presse de notre conviction qu'il s'agissait l d'une « justice coloniale ».
- la visite du camp Est, seule prison de Nouvelle Calédonie, nous a permis de constater par nous-mêmes la réalité des accusations portées par Monsieur Jodar, sa famille et ses amis de l'USTKE. La cellule où monsieur Jodar lui-même était détenu le jour de notre visite est d'une surface de 13 m². Il y a séjourné avec quatre autres détenus, soit par détenu 2,6 m2, la surface d'un placard ! Dans ce local exigu, où les détenus sont confinés 22 heures sur 24, on trouve un WC la turque, sans aucune intimité possible, des lits superposés avec des matelas mousse, pas d'ouverture laissant entrer suffisamment d'air ou la lumière du jour. Cette visite, qui a eu lieu par une journée d'été très chaude, nous a amené déclarer la presse que de telles conditions de détention relevaient d'une réalité de « double peine » tant l'épreuve de la détention est plus grande au Camp Est de Nouméa que dans l'ensemble des établissements pénitenciers de France. Ce fait a été souligné par Mme la sénatrice Alima Boumedienne-Thiéry qui, dans le cadre de ses activités antérieures, a déj enquêté sur plusieurs dizaines de prisons françaises.
- L'audience de la cour d'appel laquelle nous avons assisté s'est déroulée dans de bonnes conditions, sous la présidence du juge Thiolet. La décision a été mise en délibéré huitaine. A l'issue du délibéré, Monsieur Jodar et ses amis ont pu recouvrer la liberté après quatre mois de détention. La famille, l'avocate et les amis de Gérard Jodar nous ont fait part de leur soulagement quant la sérénité des débats lors de cette audience, au regard de l'ambiance tout fait autre constatée quand les condamnations contestées ont été prononcées. Nous souhaitons ardemment que la sérénité redevienne la règle au sein des institutions judiciaires de ce pays.
- Pour autant, par les informations recueillies et les faits constatés, nous considérons que ce qui est arrivé Monsieur Jodar et ses amis relève d'une dérive inquiétante de l'appareil judiciaire l'encontre les libertés syndicales. Nous la dénonçons et nous la condamnons !
2/ Concernant la prison du Camp Est
La situation des prisons en France a suscité, en étant largement relayée par les médias, une émotion considérable et légitime dans l'opinion. Les conditions de détention en maison d'arrêt sont souvent définies comme indignes de la « patrie des droits de l'homme ». La délégation a pu constater que la réalité de la condition pénitentiaire est incomparablement plus grave encore au Camp Est de Nouméa.
- une maison d'arrêt surpeuplée. Conçue pour 192 détenus, la prison du Camp Est en hébergeait 431 le jour de notre visite, soit une surpopulation de 230%. Cette situation est habituelle, et le nombre de détenus est parfois encore plus élevé. Une des raisons essentielles de cette surpopulation est que les condamnations prononcées sont le plus souvent plus lourdes qu'en métropole, et que, dans le même temps, les aménagements de peine (semi-liberté, placement extérieur, libération conditionnelle, etc..) sont quasi-inexistants.
- Un taux de récidive de 51%. Il y a dans cette prison une forte proportion de jeunes incarcérés pour des délits mineurs (vols de voiture, toxicomanes, délits liés l'abus d'alcool, etc...). Ils y côtoient des malades mentaux qui désorganisent les conditions de détention, et ils partagent, dans des conditions de détention très difficiles, une promiscuité qui fait le lit de la récidive.
- Des conditions de vétusté et d'insalubrité inacceptables. Une cellule de 13 m² accueille jusqu' six détenus, le sixième dormant même le sol dans l'allée qui sépare les lits superposés (trois d'un côté, deux de l'autre). Ces cellules n'ont pas d'éclairage digne de ce nom, ni par la lumière du jour, ni par l'ampoule encastrée même le mur. Chaque cellule est dotée d'une prise de courant, mais le réseau disjoncte la moindre sollicitation. Les bouilloires sont ainsi interdites. Nombreuses sont les cellules sans télévision, et même, malgré les fortes chaleur de l'été, sans ventilateur.
- 90% de mélanésiens forment la population carcérale, en totale disproportion avec la réalité démographique du pays où ils sont environ 50%.
- Des contrôles inexistants : les maisons d'arrêt sont soumises en théorie toute une série de contrôles. A Nouméa, les inspections inspectent peu, les commissions de surveillance ne surveillent pas grand chose, les magistrats du parquet répugnent s'y rendre et ceux qui y envoient les prévenus n'y mettent que rarement les pieds. Nous avons voulu briser la loi du silence propos de cette maison d'arrêt.
3/ Concernant la situation du Peuple Kanak
Nous avons constaté la situation de discrimination que subissent les kanaks en Nouvelle Calédonie, malgré les accords survenus en 1988 (accords de Matignon) et 1998 (accords de Nouméa). Car, dans la réalité des faits, les chiffres démontrent une réalité inacceptable.
- notre première constatation a été faite lors de la visite de la prison de Nouméa, où 90% des détenus sont d'origine mélanésienne, parmi lesquels de nombreux jeunes délinquants qui pour beaucoup relèvent de sanctions alternatives l'emprisonnement. Or les kanaks sont peine 50% de la population de la Nouvelle Calédonie. Il y a l matière s'interroger sérieusement sur une « discrimination dans les faits ». Et cela d'autant plus que le taux d'incarcération constaté pour cette population est d'environ quatre pour mille, comparer la moyenne nationale, environ un pour mille, alors qu'aucune grande délinquance n'est présente sur le territoire.
- Ce sentiment est confirmé par le contraste saisissant entre les lieux de vie de cette population, dans les quartiers de Nouméa comme dans leurs communautés, par rapport aux lieux de résidence du reste de la population.
- Tous les indicateurs sont au rouge : échec scolaire, taux de délinquance juvénile, taux de récidive, taux de chômage, taux de précarité. Il y a une situation intolérable de marginalisation du peuple kanak alors même qu'il forme la population originelle de la Nouvelle Calédonie. Il faut mener d'urgence une démarche de réparation historique l'égard de ce peuple colonisé au 19ème siècle et qui reste, en ce début de 21ème siècle, malgré les statuts promulgués ces vingt dernières années, dans une situation politique inacceptable.
- Alors que la Kanaky est inscrite par les Nations Unies sur la liste des pays décoloniser, la France n'a toujours pas assumée sa responsabilité et continue une politique de colonisation de peuplement en violation avec les accords qui prévoient de favoriser le rééquilibrage économique et la préférence l'emploi local.
François Alfonsi, José Bové, Karima Delli: Députés européens du groupe Verts/Alliance Libre Européenne
Alima Boumedienne-Thiéry, Jean Desessard: Sénateurs Verts
le 15 janvier 2010