jeudi 18 avril 2024

A Actualité syndicale

La SLN face à la crise du nickel

Le monde du nickel traverse une crise extrêmement grave. L’année 2016 sera difficile, sans rebond attendu d’ici fin 2017. Dans ce contexte difficile, la Société Le Nickel (SLN) a une feuille de route claire et validée. Jérôme Fabre, directeur général de la SLN a énoncé dans son point presse du 22 décembre dernier les grandes lignes de la société. La SLN maintient et accélère son plan de productivité et prendra des mesures complémentaires d’économies, parfois à court terme et « faire le dos rond pour passer la crise », selon le directeur général.  En d’autres termes, des mesures d’adaptation à la crise. La SLN bénéficie du soutien financier de son actionnaire de référence, le Groupe ERAMET.

D’emblée, le directeur général prévient que la SLN  est en situation de trésorerie négative. « Depuis quelques semaines voire depuis quelques mois, on n’a plus notre matelas. C’est notre actionnaire majoritaire qui nous finance. Les trois actionnaires ont été appelés à y participer, et à ce stade l’actionnaire de référence a répondu présent », souligne-t-il. En cette fin d’année difficile pour la SLN, la direction générale appelle de ses vœux pour que la stratégie pays  puisse apporter une visibilité à long terme nécessaire afin de renforcer la confiance des investisseurs. « On a besoin de rassurer, de renforcer la confiance avec les partenaires internationaux », ajoute-t-il. 

Positionnement des acteurs et feuille de route SLN

« Le besoin en nickel ne fait que croître », assure Jérôme Fabre. La demande en nickel primaire est soutenue par des applications diverses tirées par les grandes tendances mondiales : croissance démographique, industrialisation, urbanisation et développement durable. « Donc toutes ces grandes tendances, toutes ces lames de fonds du monde moderne, elles impliquent plus de nickel. Notre marché est porteur », note-t-il au passage. Malgré le ralentissement chinois, la demande de nickel reste en croissance. Mais à un rythme inférieur à celui du passé (+40/50ktNi/an vs 80-100 ktNi/an). « La Chine est entrain d’atterrir mais la croissance en nickel primaire va continuer de croître mais à un rythme deux fois inférieur », autrement dit.

Evolution des stocks et cours LME. Les stocks au LME restent à des niveaux historiquement élevés du fait des excédents de production des années 2011-2013. Les cours du nickel se situent actuellement sous la barre des 9 000 USD la tonne, leur plus bas depuis le début des années 2000. Le rétablissement des cours passe par une résorption des stocks qui pourrait prendre deux ans.

Positionnement des acteurs. 75 % des opérateurs perdent de l’argent en cash cost (coûts directs et indirects). En ajoutant les investissements courants, plus de 80 % détruisent de la trésorerie. « Quand le LME est à 4 $/lb, 75 % des opérateurs perdent de l’argent car ils n’arrivent pas à couvrir leur coût d’exploitation », précise le directeur général.  « Ceux qui gagnent actuellement de l’argent sont ceux qui produisent des minerais sulfurés avec des coproduits (platine-palladium ; cuivre-or-argent) », ajoute-t-il. Il n’y a pas de rente métallurgique dans l’industrie du nickel depuis les années 2000. La SLN se situe au 6ème décile en 2015. En 2013, la SLN se positionnait en 9ème décile, en 2014 elle se situait au 8ème décile. C’est-à-dire qu’en 2015, la SLN est 60ème sur une classe de 100. Comment expliquer ce classement ? « L’ensemble des salariés s’impliquent à des degrés divers de performances », selon le patron de la SLN. « On travaille énormément sur nos coûts », souligne-t-il afin d’améliorer la compétitivité et les performances. Les points clés de ce positionnement : les efforts de performance de la SLN, la baisse du prix du fuel (45 $/le baril au lieu de 100 $/baril), la hausse du dollar, la hausse de la valeur du minerai pour les acteurs non intégrés (sans mines). Les deux autres usines calédoniennes n’échappent pas à la crise, en somme les trois usines pays ont besoin de compétitivité, « VALE NC et KNS n’ont pas encore atteint leur capacité nominale de production ».

Mesures d’adaptation. Face à cette crise, la SLN met en place un plan d’adaptation pour réaliser de fortes économies sur les années 2016-2017. Ce plan a été validé par le conseil d’administration (CA) de la SLN le 19 novembre dernier et le CA d’ERAMET du 9 décembre dernier. Premièrement, la SLN va optimiser le dispositif industriel actuel c'est-à-dire qu’elle va maintenir le niveau de production actuel par l’optimisation transitoires des mines et de l’usine (teneur en nickel), par l’efficacité énergétique à la calcination/fusion, « On investira en 2016 sur des fours rotatifs malgré la crise. On aura des gains en 2017 », maintient Jérôme Fabre. « On a réussi à convaincre nos actionnaires que c’était un bon deal.» Par ailleurs, le projet de spécialiser le site de ferronickel* (arrêt des Bessemers) et le développement de l’export de minerais (600 milles tonnes de minerai de type saprolitique). La SLN compte augmenter ce volume d’exportation l’an prochain.  Sur un court terme, la SLN prévoit la réduction de ses frais fixes (ingénierie et report de certains programmes de dépenses etc..), la réduction de ses investissements (au moins 600 millions CFP - < à 6 MdF  en 2016). La société tendra à rechercher un financement de ses investissements. Des actions de productivité sont prévues notamment dans le projet de refonte du régime de récupération des intempéries *, dans la fiabilisation/projet de réorganisation de la maintenance * et la réduction du BFR. L’ensemble de ces projets ont été formulés au comité central d’entreprise tenu le 21 décembre dernier à Nouméa. Ces mesures d’adaptation, ces projets permettront à la SLN d’économiser entre 7 à 10 MdF en 2016.

(*) : Des projets sous réserve des procédures d’information et de consultation des partenaires sociaux de la SLN.

Projet de spécialisation dans la production de ferronickel. La production de la SLN se répartit aujourd’hui entre matte (env. 8 ktNi) et ferronickel (env.47 ktNi). A l’avenir, le site industriel de Doniambo se spécialiserait dans la production de ferronickel (env. 55 ktNi). « On oriente toute notre production sur les grenailles de ferronickel qui alimente le marché du nickel en acier inoxydable, un marché porteur », rassure le directeur général bien que l’atelier des fours Bessemers sera fermé d’ici fin 2016. Cinquante-sept personnes sont concernées par cette réorganisation. A terme, elles seront reclassées au sein de la SLN. « On produira encore de la matte pour l’usine de Sandouville. On devrait s’arrêter en septembre 2016. Sur 57 personnes, il y a déjà 29 postes d’accueil qui sont identifiés », indique Jérôme Fabre qui veut rassurer les partenaires sociaux.

Les 10 premiers producteurs de nickel en 2015 * : Norilsk Nickel (260), Vale (259), Glencore (147), Jinchuan (145), SMM (96), BHP Billiton (92), Eramet (54), Anglo American (53), Ambatovy (48), Queensland Nickel QNI (34).

Les 10 premiers producteurs de FeNi en 2015* : Eramet (47), BHP Billiton (37), Posco-SMSP (36), Pamco (35), Anglo American (29), Cunico (26), Vale (24), SMM (22), Pobuzkhe (20), Larco (17). A la première place, la SLN va consolider sa place de leader mondial du ferronickel.

(*) : Norilsk Nickel a produit 260 milles tonnes de nickel en 2015 ; Eramet a produit 47 000 tonnes de ferronickel en 2015.

Les opérateurs locaux accablés par des surcoûts. De nombreux surcoûts et de nouvelles contraintes ont vu le jour depuis la mise en place du Schéma de Mise en Valeur des Richesses minières de la Nouvelle-Calédonie (2009) : la géologie, la fiscalité (redevance superficiaire), l’énergie avec Yaté (subvention à la distribution publique) et le projet de la Centrale B, et l’environnement minier avec ses nouvelles prescriptions. « Au total, depuis 2009, la SLN a du encaisser environ 0, 6 $/lb de surcoûts soit 6MdF/an », signale-t-on du côté de la direction. « Notre secteur est entré en crise à ce moment-là, et parallèlement il y a eu un emballement au niveau du pouvoir public. On a subit un certain nombre d’augmentation de facteurs de coûts ». Se pose donc la question, si la SLN peut disposer d’aménagement de calendrier sur les obligations nouvelles pour tenir compte des moyens limités en temps de crise ? En même temps, des surcoûts potentiels sont identifiés et des réflexions sont en cours sur ces sujets : compensation biodiversité, TGC (=TVA), CO²/schéma de transition énergétique, fiscalité minière/redevance à l’extraction. La direction sera vigilante sur ces données qui selon elle, « les surcoûts peuvent pénaliser encore plus l’industrie métallurgique calédonienne, notamment en période de crise ».

Analyse du risque à l'échelle du pays. Ces aspects de règlementations contraignante et des surcoûts fragilisent en quelque sorte les investissements, et le directeur général analyse et revient sur les conditions du risque à l’échelle du pays : « Depuis 2009, la SLN - comme les autres opérateurs - a été pénalisée ; Des prises de positions sur le domaine minier de la SLN et/ou les 51 % nuisent à l’image de la Calédonie du point de vue de nos actionnaires ; Des inégalités de traitement dans la gestion des autorisations d’exporter ». La perception générale est que le risque politique calédonien ne cesse d’augmenter. « Cette déconnexion entre des enjeux industriels et financiers de notre secteur par rapport à la perception que les pouvoirs publics calédoniens avaient de notre secteur à de plus en plus questionner, à générer un peu une incompréhension ! Il est temps aujourd’hui que les pouvoirs publics calédoniens se ré-intéressent à notre secteur, se remettent à jour. On a vu qu’il y a des perceptions erronées, des choses extrêmement sophistiquées et complexes. On peut apporter des grilles. Notre marché a changé. Il y a beaucoup de nouveaux acteurs dans les pays low cost », poursuit-il en indiquant « qu’il est souhaitable que la situation s’améliore pour sécuriser les investissements ».

Stratégie pays : état des lieux et propositions de la SLN

 Domaine minier. Le BRGM* a réalisé une cartographie géologique, à l’échelle 1/50 000, qui recense environ 128 000 ha de surfaces favorables à la concentration du nickel et à la formation de gisements en Calédonie (année 2009). La SLN dispose de 31% de surfaces favorables (ha) ce qui permet à la SLN d’avoir un plan minier garantissant l’approvisionnement de l’usine de Doniambo jusqu’en 2060. 41% des surfaces favorables sont libres de droit. 30%  des surfaces favorables sont accessibles à tout demandeur (agréé) d’un permis de recherche. A noter que les provinces détiennent 53% des surfaces du domaine minier calédonien (libres + SMSP). 

(*) : Bureau des Recherches Géologiques et Minières

Répartition du domaine minier Calédonien en tNi métal contenu*. Les provinces détiennent 58% du nickel calédonien (Réserve Technique Provinciale 14 % -Libre 16 % - SMSP-NMC 7% - SMSP-KNS 21%), les petits mineurs détiennent 7 %, VALE NC détient 14%, la SLN détient 21%. KNS dispose d’un gisement de 4,5 Mt Ni pour une surface favorable compacte (4000 ha). La SLN dispose du même niveau de ressource dans un domaine minier très étendu et éparpillé (40 000 ha). (*) Sources : données publiques pour la SLN, VNC, KNS, certifiées JORC, données publiques pour SMSP-NMC ; estimations SLN pour le reste.

La Nouvelle-Calédonie occupe une place très importante sur l’échiquier mondial des ressources nickélifères. La durée de vie : de 2100 voire à 2150. Un potentiel important qui permet de relativiser les craintes liées à « l’après nickel », qu’il convient d’anticiper malgré tout, selon l’exécutif de la SLN. Les ressources recensées sont équitablement réparties entre les différents opérateurs miniers. De plus, des ressources supplémentaires sont à trouver : au moins 30% des surfaces favorables sont disponibles. « Il y a donc de la place pour tout le monde. Le problème n’est pas lié à l’accès à la ressource, mais aux investissements très lourds à mettre en œuvre », note le directeur général. La mise en valeur d’un domaine repose sur des processus géologique et minier de très long terme (15 ans), avec des investissements très lourds, nécessitant stabilité et visibilité à long terme. La SLN investit 3,5 MdF/an en géologie dont 2 MdF d’exploration.

Valorisation optimale des ressources. La valorisation durable à long terme des ressources passe par la baisse des teneurs. « C’est possible quand le prix du nickel augmente, les conditions économiques changent (LME, énergie, Euro/$), les technologies changent etc.. ». Au niveau de l’horizon minier : Saprolites = au moins 50 ans ; Latérites = 120 à 150 ans. La tendance est aujourd’hui favorable avec le ban indonésien qui accélère la baisse des teneurs à l’export. Dans le cadre de son fonctionnement habituel, Doniambo valorise chaque année des produits à basse teneur. « Ces 5 dernières années, nous avons enfourné 1,7 Mth de minerais <2% Ni (1,6 Mth de minerais env.2% Ni et 110 Kth de coproduits de laverie (1,6%Ni) », précise Jérôme Fabre.

Analyse historique sur 25 ans : à qui profite le nickel ? Etude des comptes de la SLN de 1991 à 2015 Ventes cumulée 1991-2015                                                    -292 014 tNi matte -1 092 627 tNi FeNi -4,67 Mth saprolites/coproduits -6,34 Mth latérites Soit  Env. 54 200 tNi/an (env.11 700 matte + env.42 500 Fe Ni) Env.190 kth/an saprolites Env. 350 kth/an latérite (depuis 1998) Chiffre d’affaires cumulé : 1 800 MdF Investissements réalisés : 250 MdF A la question : à qui profite le nickel ? (Cumul entre 1991 et 2015 en MdF) : Les sous-traitants (550) => 48%, les salariés (400) => 35%, Impôts & taxes (150) => 13%, Dividendes STCPI *nets (40) => 4%. Ce qui fait un total de 1 140 MdF. Ce qui représente 63 % du chiffre d’affaires. Le solde constitue essentiellement des importations de biens non disponibles en N-C. (*) : Les dividendes versés aux 3 provinces du pays qui sont actionnaires par le biais de la Société Territoriale Calédonienne de Participation Industrielle. Année de la création de la STCPI : 2000.

Enjeu géostratégique : la « course » au nickel. Les pays ayant besoin de minerai de nickel pour leurs industries (Chine, Corée du Sud, Japon) sécurisent leurs approvisionnements. Cette tendance s’accentue avec l’interdiction d’exporter du minerai indonésien. « En revanche, il convient d’être vigilant face à l’appétit des grands pays asiatiques ! », recommande le DG de la SLN.

Stratégie pays. Pour une politique d’exportation qui soit complémentaire avec la métallurgie locale. « La métallurgie locale doit rester la priorité des pouvoirs publics calédoniens au regard de son impact économique dans le pays, au niveau des emplois, des sous-traitants, des investissements, des impôts, des dividendes », assure Jérôme Fabre. Une « stratégie export » durable, selon le directeur général, ne doit pas concurrencer les trois usines pays. « Les coûts des clients sont liés à la teneur. Il faut faire les deux en même temps, à la fois piloter la baisse des teneurs exportées et augmenter les prix ». Egalement, l’export peut-être développé sur un marché favorable pour les minerais non valorisables localement (ban indonésien). Autre facteur, les emplois : 2500 emplois, sous-traitance locale (notamment sur la côte Est). La SLN compte aussi sur le bénéfice environnemental avec la reprise d’anciennes verses, en plus de la valorisation de « co-produits ». Egalement avec l’aménagement du territoire : un projet d’ouverture de nouveaux gisements sur la côte Est. Enfin, baisser les teneurs à l’export avec une teneur pivot à 1,8 % tout en maintenant une augmentation du prix (payabilité minerai à 1,80% Ni) avec un bonus LME. De ce qu’on peut retenir de ce point, toujours selon le DG, « ne pas exporter de minerai riche, mais faire baisser les teneurs et augmenter les prix ». Et de conclure sur le fait que la SLN est prête à apporter sa contribution et son expertise à l’élaboration de cette stratégie.  



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