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Yazid Kherfi, docteur ès violences LE MONDE | 07.11.05 | 16h28 âa¢ Mis à jour le 07.11.05 | 16h28


Il a beau aimer Robert De Niro et les parrains braqueurs des films américains il n'a pas la tête d'un malfrat. Ni celle d'un Zidane ­ - dont le village de petite Kabylie est voisin de Tizi n'Braham, le bled où est né son père, sur les pentes montagneuses de la côte algérienne. En fait, Yazid Kherfi n'a pas la tête de l'emploi. Normal, puisqu'il n'en a pas. Ou, plus exactement : son job, c'est sa vie, dont il a su faire un outil.


Tour à tour voyou de banlieue, taulard au long cours soldat en Algérie, travailleur social à Mantes-la-Jolie, ce drôle de voyageur a essayé de résumer la chose. "Consultant en prévention urbaine" , a-t-il écrit sur sa carte de visite. Un peu abscons mais pourtant vrai : on fait appel à lui pour jouer les médiateurs et prévenir les feux de banlieue. C'est faux aussi, tant ce djinn aux mille vies ­ - qui n'en renie aucune ­ - ne peut être classé sous une seule étiquette.


"Aux Etats-Unis on le baladerait partout, on le paierait pour qu'il participe à des conférences il serait riche comme Crésus ! En France, les gens comme lui, on ne sait pas quoi en faire" , se désole une de ses anciennes camarades de travail, la sociologue Maria Do Ceu Cunha, aujourd'hui chargée de mission auprès du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild). Il suffit de l'avoir vu parler à des jeunes pour mesurer son "impres sionnante force de conviction" , dit-elle.


Formidable à l'oral, Yazid Kherfi, également sollicité pour animer des stages auprès des policiers municipaux, a le défaut de ses qualités : "Il ne sait pas écrire ­ - en tout cas pas des rapports. Or, en France, c'est ce qu'on demande en premier , regrette Mme Do Ceu Cunha. Les faiblesses de la société francaise deviennent ses limites à lui." S'il ne sait pas rédiger des rapports Yazid Kherfi a néanmoins trouvé quelqu'un, en l'occurrence la sociologue Véronique Le Goaziou, pour raconter sa vie. Edité en 2000, Repris de justesse (La Découverte) a connu un succès suffisant pour qu'on le sorte en poche, en 2003. Ce que l'ancien éducateur militant du Val-Fourré constatait il y a cinq ans sonne aujourd'hui comme un reproche : "C'est quand les gens sont blessés ou meurent qu'on commence à s'inquiéter, parce que, quand rien ne se passe de violent dans les quartiers on en oublie les habitants. Les petits ont retenu la lecon : il n'y a aucun intérêt à être citoyen, il vaut mieux casser" , notait-il, en évoquant "les émeutes et les voitures brûlées" des années 1990, dans les cités de Mantes-la-Jolie, de Sartrouville ou des Mureaux.


Celles de Clichy-sous-Bois et des banlieues du nord de Paris ne l'ont pas étonné. Les tensions sont si fortes et permanentes qu'" il suffit d'un drame et, hop ! c'est comme une allumette jetée su r de l'es sence..." Les "petits" d'aujourd'hui, "plus individualistes et plus violents qu'hier" , se moquent des aînés. "Ils nous disent : "Vous avec vos manifestations pacifiques vous n'avez rien eu. Nous en trois nuits d'émeutes on obtient des trucs on passe à la télé et ils vont mettre du fric dans les quartiers"" , rapporte l'ancien braqueur. "Le pire, c'est qu'ils ont raison. A la fois malheureusement et heureusement, ce qui vient de se passer va sans doute faire bouger des choses."


C'est au lendemain des émeutes des Minguettes dans la banlieue lyonnaise, en 1983, que les "premiers dispositifs en faveur des jeunes" ont été expérimentés rappelle-t-il. Et après celles de Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise également, en 1991, que le gouvernement a créé un ministère de la ville - ­ poste étrenné par le socialiste Michel Delebarre.


La gauche, la droite, cela compte-t-il i "Ce n'est pas le plus important , tranche l'ex-pensionnaire des prisons francaises. Tout est question de gens et de confiance. Quelqu'un comme Pierre Cardo, par exemple, il ne traite pas les gens de racaille. Il est dans l'empathie, le dialogue" , insiste-t-il, saluant le député des Yvelines maire UMP de Chanteloup-les-Vignes qui l'encouragea à monter, en son temps une maison de quartier pour les jeunes. De même qu'il rend hommage au maire socialiste de Mantes-la-Jolie, Paul Picart, ou au travailleur social Gérard Guérinet ­ une des rares personnes qui aient su l'écouter "sans constamment le renvoyer à son passé".


Délinquant et (longtemps) content de l'être, Yazid Kherfi a éprouvé, comme tous les transgresseurs de loi, cette "montée d'adrénaline" , cette "jouissance" qui riment avec effraction et argent facile. Il le raconte dans son livre, avec son braquage raté dans le midi de la France, la mort de son copain Nasser, sa cavale, sa fuite en Algérie, où il fait deux ans de service militaire, son retour en France et son arrestation, sa condamnation à quatre ans d'emprisonnement. Mais il n'explique pas le plus étonnant : qu'il ait renoncé à cette vie, si excitante que celle de ses proches lui paraissait fade et banale en comparaison.


C'est lors de son procès à son retour en France, que la page s'est tournée : pour la première fois Yazid Kherfi a entendu des hommes prendre sa défense et soutenir en public qu'il était "un type bien" , un gars "intelligent" . Si cela l'a tant "remué" , c'est que ces personnes-là , "c'étaient des gens honnêtes des Blancs des Francais de souche ­ - c'est-à -dire ses ennemis" de toujours. "J'ai compris qu'ils m'aimaient" , dit-il aujourd'hui. D'ailleurs s'il a décidé ce jour-là de changer de vie, ce n'est "pas par conviction" , mais parce qu'il voulait "leur faire plaisir et leur donner raison" .


Diplômé de l'Institut national des hautes études de la sécurité (Inhes dépendant du ministère de l'intérieur), marié à une assistante sociale d'origine algérienne et père de deux jeunes enfants Yazid Kherfi est resté fidèle à la banlieue : il y vit encore aujourd'hui. Les policiers sont "les personnes les moins préparées à la violence des cités" , assure-t-il. Ce qu'ils demandent i "Comment communiquer avec des gosses qui les haïssent et les traitent en ennemis..." Et qu'on ne s'y trompe pas : la "tolérance zéro", l'ancien braqueur est pour. "Mais pour à 100 % : qu'elle s'applique aux caïds autant qu'aux policiers racistes et aux communes qui "oublient" leurs obligations en matière de logement social."


A bon entendeur...


Catherine Simon Parcours


1958. Naissance à Triel-sur-Seine (Yvelines).


1981. Cavale et fuite en Algérie, où il fait deux ans de service militaire, après un braquage raté.


1985. Condamné en France à quatre ans d'emprisonnement.


1987. Sorti de prison, il travaille dans le social, milite dans les associations et devient formateur.


2000. Parution de "Repris de justesse" (La Découverte).


Article paru dans l'édition du 08.11.05


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