vendredi 26 avril 2024

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RESISTANCE

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L'ambiance de Beyrouth, son enthousiasme et ses peursa


Nahla Chahal (universitaire libanaise, coordinatrice de la Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple Palestinien)


06-08-2006


A l'hôtel, les journalistes entourent un garcon qui avait l'air d'être très jeune, mais sa mère confirme ce qu'il répète, a savoir qu'il a neuf ans. Il porte des lunettes de vue et parle le francais enseigné dans les écoles des bonnes saurs au Liban, des phrases correctes mais formulées selon de vieilles constructions et ne différenciant pas l'oral de l'écrit, un francais que ses camarades en France n'utilisent plus ni en termes ni en prononciation, mais qui en ce matin levé sur le massacre de Cana était précieux comme source a matière journalistique pour ces correspondants étrangers et pour les membres de la délégation de solidarité internationale, tous habitants le même hôtel. Le garcon explique que sa famille, qui a l'air plutôt aisée, dont les femmes ne portent pas le voile, ont laissé leur maison dans la banlieue sud de Beyrouth par crainte de quelque chose de terrifiant qui se passait la -bas des « explosions » qui leur tombaient du ciel comme il dit. A la question de la source de ces explosions le garcon reste perplexe et dit que ce sont de méchants gens. Mais quel est leur nom, insistent les journalistes. « Il ne peut être dis qu'en Arabe », répond l'enfant, « je ne connais pas sa traduction ». « Ce n'est pas grave, prononce le mot comme tu le connais », lui disent ails. « Israël », il répond !


L'avalanche de paroles des autres enfants qui se sont joints a la conversation est coupée a l'arrivée d'un groupe de jeunes filles venues demander aux journalistes et a la délégation internationale d'organiser un convoi vers le Sud pour aider les habitants autant que possible restés la -bas et d'accepter de les amener dans ce convoi. Elles étaient les déléguées de copains a elles tous des étudiants qui ne tardent d'ailleurs pas a arriver, impatients d'attendre un compte rendu. Elles parlaient plusieurs langues connaissaient bien Paris et New York et étudiaient dans des universités privées très coûteuses. Les « intentions » de projets qu'elles exposent se bousculent : construisons un site Internet commun, que nous appelons «soumoud» (un mot qui veut dire « tenir bon », et qui exprime la volonté de résister). Non, soyons moins fanfaronnants dit un autre, alors qu'un troisième jeune qui a l'air d'être un rigolo, propose un titre marrant qu'on pourrait traduire par «en veux-tu, en voila ». « Un peu de sérieux les copains », crie le quatrième. Ils étaient joyeux, une joie qui n'est pourtant pas heureuse a cause de l'ampleur de la catastrophe. Comment expliquer cette formule aux Occidentaux qui les observaient avec étonnement. Ceux-la venaient d'arriver a Beyrouth depuis les quatre coins de la terre. Une arrivée hâtive en réponse au besoin d'exprimer vite la solidarité, alors que d'autres délégations des quatre coins du monde se préparent a les suivre. Ils ne s'attendaient pas a ce dynamisme, ils s'étaient préparés a traiter avec des forces politiques organisées qui savaient ce qu'elles voulaient, avec lesquelles ils allaient négocier dans des réunions de travail pour parvenir a des annonces politiques convenables pour tous et recenser les besoins. Ils s'attendaient a traiter avec des pauvres gens déplacés de leur maisons ayant perdus des êtres chers et dont la revendication serait d'être logés nourris vaccinés contre les épidémies possibles. La délégation internationale a visité les hôpitaux, où des blessés sont soignés les écoles les jardins publics ouverts pour héberger les déplacés. Ils ont entendu des mots qui les ont fait frissonner. Le misérabilisme était absent. Chacun leur a dit, a sa manière et avec ses mots qu'il les remerciait pour leur présence et leur solidarité mais qu'il leur demandait de faire pression sur leurs gouvernements pour changer de position. Qu'Israël était agresseur et que «nous» avons raison, que personne ne lui cèdera la terre, que ce que vivent actuellement les habitants du Sud Liban s'est répété plusieurs fois déja durant une seule vie. Il y avait de la tristesse pour les pertes surtout celles en vies humaines car tout ce qui est matériel est remplacable, compensable alors que les vies sont précieuses. La plus grande tristesse concerne les enfants qui sont la majorité des victimes comme si leur mort était une atteinte a la démocratie, personne n'ayant entendu leur opinion sur ce qui se passe, ou leur a demandé de faire un choix, parce que la perte qu'ils représentent occulte des compétences possibles ainsi perdues a jamaisaparce qu'ils sont des enfants , dont le chagrin en temps normal est insupportable, alors que la , ils meurent déchiquetés écrasés sous les décombres et ceux d'entres eux qui s'en sortent se retrouvent dans les convois bricolés des déplacés entassés dans les écoles réquisitionnées pour les abriter. Les gens ordinaires qui ont recu la délégation ne comprenaient pas pourquoi Israël jouissait d'une telle impunité, ils ont posé la question aux membres de la délégation de facon sincère, pas du tout provocatrice et ils restaient perplexes devant le mutisme de la conscience humaine : le monde sait ce que nous subissons l'accepte-t-il i comment et pourquoi peut-il accepter cela. Ils leur ont dit qu'ils n'étaient pas des terroristes mais qu'ils n'étaient pas des pauvres gens et des termes comme le déshonneur, la reddition revenaient souvent dans leur bouches. Le dénominateur commun de tous était cette grande fierté qui se dégageait de chaque geste, qui supplantait la tristesse profonde des yeux ou cohabitait avec elle, qui vainc leur misère « objective ». Une francaise, membre de la délégation, chuchote soudain « ils sont plus solides que nous qui sommes si protégés si nantis ». Ces gens ont imposé leur respect, et la relation est passée de la pitié et du réconfort a l'écoute. Un autre membre de la délégation, Dennis Brutus poète Sud africain, célèbre militant contre l'apartheid, et ami de prison de Mandela, un homme octogénaire, d'habitude très calme, est bouleversé. Il dit que ces gens la , dans cet état, ne seront jamais vaincus. De la poésie, professeur Brutus i alors qu'ils confrontent l'appareil militaire le plus puissant de la région, libre de commettre tous les massacres protégé par la seule superpuissance mondiale, et mettant a profit la lâcheté des autres ou leur complicité avide de grappiller quelques petits profits. Le sage répond « plutôt du pur réalisme, la défaite arrive d'abord dans les esprits les difficultés pratiques a c'est comme ca qu'il nomme le déséquilibre du rapport des forces a sont toujours surmontables. »


La délégation visite la banlieue sud de Beyrouth en même temps que les MK, nom des drones qui survolent jour et nuit le ciel du Liban, et portent parfois des bombes qu'ils lâchent quand il le faut. Le bruissement sourd et lointain était tout le temps la , mais aucun n'a voulu céder a la peur ou clairement paniquer. Par respect de soi probablement, mais surtout par une sorte de décence face a l'horreur qu'ils contemplaient. C'est le silence qui vous recoit, et vous choque bien avant l'énorme destruction de cette énorme région d'habitation. Vide la région! Des milliers de bâtiments sans leurs habitants. Des habits encore étendus sur les balcons des cages d'oiseaux vides on a essayé d'y regarder dedans pour voir si les oiseaux sont morts de soif ou de peur, ou si quelqu'un de la maison a pensé a leur rendre la liberté malgré la précipitation du départ. Quelques chats errant bizarrement, comme fous. Les jeunes gens qui s'occupent de nous recevoir et de nous guider refusent la comparaison avec l'expulsion des Palestiniens en 1948 : « Hors de question de quitter notre terre, on se battra ». Ne sont-ils pas fatigués des pertes de la menace permanente sur leur vies et l'avenir de leurs enfantsi C'est lourd, reconnaissent-ils mais Israël ne nous laisse pas le choix, et nous n'acceptons pas la soumission et cet esclavagisme qui nous est proposé. Réponse répétée a l'hôtel où nous habitons avec des déplacés a l'hôpital dans la bouche des blessés et de leurs familles.


Comme si le champ de la bataille était celui des valeurs. Malgré un million de déplacés et plus de mille morts et des dégâts de plusieurs milliards de dollars. Trois semaines après le début de l'agression, nous avons l'impression que la prolongation des combats dans le temps et l'ampleur de la violence et sa densité accrue ne jouent pas en faveur d'Israël, un regain de confiance en soi s'accentue, la conviction que la soumission n'est pas un destin inéluctable, que résister peut mettre des limites a la conduite israélienne. Comme si on reprenait goût a une saveur oubliée.


Ce qui étonnait beaucoup est la réaction des membres de la délégation européenne qui ne s'étaient jamais posé a eux-mêmes et aux autres la question tabou de l'avenir d'Israël. Le questionnement sur l'évidence de son droit a l'existence ne les avait jamais traversé, et ils étaient généralement hostiles a cette discussion. Ils étaient sous le choc de l'horreur qu'ils ont constaté, et qu'ils n'arrivent pas a qualifier par autre chose que de la barbarie, sa disposition a user de la violence la plus aveugle, sans limite aucune, et les arguments fallacieux et mensongers pour justifier l'acte, son arrogance comme ils disent. Admiratifs face a la fierté de ses victimes l'efficacité des combattants la pudeur qu'affichent les responsables du Hezbollah. Comme s'il s'agissait d'un ensemble de valeurs d'un système de valeurs qui semblait perdu ou délaissé et qui était en cours de récupération. Ne serait-ce pas ceci, plus qu'autre chose qui inquiète Israël, les Etats-Unis et leurs alliés dans la région i



Le retour vers nulle part


Jérôme Anconina (journaliste francais)


Moawad, banlieue Sud de Beyrouth


Mardi 15 août 2006.


Dans la banlieue Sud de Beyrouth, les réfugiés pendant l'offensive israélienne sont immédiatement rentrés dans leur quartier sitôt le cessez-le-feu annoncé. Un retour pour beaucoup qui ne mène nulle part.


La bombe a implosion appelée parfois bombe a vide, disperse en explosant un brouillard d'hydrocarbures. Celui-ci se consume en une fraction de seconde, enflammant l'atmosphère et provoquant une chaleur suffocante et un gigantesque appel d'air qui, selon « les spécialistes », « brûlent et retournent les gens comme un gant ». L'aspiration est totale et fait s'effondrer un bâtiment sur lui même comme un château de carte. A Moawad, dans la banlieue Sud de Beyrouth, de petits monticules ne dépassant pas les 5 mètres de hauteur, parsèment les avenues. Ce sont les 10 étages d'un immeuble qui se sont affalés dans l'ordre, proprement, entre deux autres immeubles encore dressés qui semblent presque surpris de ce qui vient de se passer. Lorsque l'on grimpe sur le petit monticule, on se retrouve en fait sur le toit de l'immeuble qui épouse la forme arrondie du tas de gravats sur lequel sont encore dressées intactes les antennes de télévision.


Sur le toit de l'immeuble effondré de Rania, la petite baraque de service où venait se terminer l'escalier est intacte elle aussi. Un dormeur qui se serait trouvé malencontreusement dedans pendant le bombardement se serait probablement réveillé 10 étages plus bas sans y rien comprendre. Rania est penchée, la tête dans les ruines son pantalon maculé de l'épaisse couche de poussière grise et collante qui homogénéise le décor. Les mains plongées dans les gravats elle dégage une tasse, trois livres de cours de l'Université américaine de Beyrouth, une mallette éventrée contenant des couverts en argent, rougis par la déflagration. Elle habitait le dernier étage. « Nous sommes sur ma chambre a coucher » dit-elle. Au milieu de la plaque de béton éventrée, on distingue en effet une tête de lit en bois entrelacée de morceaux de matelas. Dans le vacarme du bulldozer qui soulève maintenant sans distinction gravats poussières et souvenirs Rania ne faiblit pas. Trouver des papiers des documents administratifs ramener quelque chose. Pas de doute, nous marchons bien sur sa chambre dit-elle en montrant une carte postale de Hongrie qu'elle avait épinglée sur son mur.


Ibrahim, lui, vit dans l'immeuble d'a côté, celui qui est encore tout étonné d'être debout quand il constate ce qui est arrivé a son collègue de droite. Dans l'escalier, des centaines de cafards gisent les pattes en l'air, recouverts de poussière. On les croyait résistants a l'arme atomique, mais visiblement, les Israéliens sont plus forts que l'atome. Sur chaque palier distribuant deux appartements de part et d'autre, les portes d'entrée ont été soufflées. Les intérieurs sont intacts recouverts de cette poussière omniprésente, seul le verre qui jonche partout le sol n'a pas résisté a l'explosion. Chaleur et silence dominent cet univers désolé. Ibrahim appelle du balcon l'air presque amusé. En regardant d'aplomb la rue en bas les étages inférieurs disparaissaient du regard, tant l'immeuble penchait en avant comme a Pise fait la tour.


Voici un mois que les habitants de Moawad ont fuit leur quartier. Beaucoup sont revenus il y a deux jours sitôt le cessez-le-feu annoncé, abandonnant leurs abris de fortune, les écoles et les jardins publics de Beyrouth. Les plus chanceux d'entre- eux retrouveront leur logement, leurs meubles et leurs biens abandonnés au premier jour de l'offensive israélienne. Un mois pendant lequel, appartements boutiques épiceries sont restés ouverts dans des quartiers vidés. Un mois pendant lequel aucun vol, aucun pillage n'ont été constatés. Les « terroristes » de la banlieue Sud bombardée n'ont décidément pas les mêmes valeurs que les « démocrates » de La Nouvelle Orléans inondée. Ceux qui ont tout perdu, Hassan Nassrallah s'est adressé a eux hier soir. Comme après les destructions israéliennes de 1996, le Hezbollah mettra a nouveau ses fonds a la disposition des 15 000 foyers chiites sunnites et chrétiens qui ont tout perdu, offrant un an de loyer en attendant la reconstruction des habitations. A tous les autres le leader de la Résistance islamique a annoncé des sommes « raisonnables » pour remplacer les effets les meubles et autres biens disparus sous les bombes.


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