Par Damien Millet et Eric Toussaint
www.cadtm.org
1er mai 2007
Câaaest dâaaabord à cause du fiasco de son action depuis 60 ans que la Banque mondiale est aussi fortement déstabilisée. Elle doit rendre des comptes sur de nombreux points dont voici une liste non exhaustive :
- pendant la guerre froide, la Banque mondiale a utilisé lâaaendettement dans un but géopolitique et systématiquement soutenu les alliés du bloc occidental, notamment des régimes dictatoriaux (Pinochet au Chili, Mobutu au Zaïre, Suharto en Indonésie, Videla en Argentine, régime dâaaapartheid en Afrique du Sud, etc.) qui ont violé les droits humains et détourné des sommes considérables et elle continue de soutenir des régimes de même nature (Déby au Tchad, Sassou Nguesso au Congo, Biya au Cameroun, Musharraf au Pakistan, etc.) ;
- au virage des années 1960, la Banque mondiale a transféré à plusieurs pays africains nouvellement indépendants (Mauritanie, Gabon, Algérie, Congo-Kinshasa, Nigeria, Kenya, Zambie, etc.) les dettes contractées par leur ancienne métropole pour les coloniser, en totale contradiction avec le droit international ;
- une très grande quantité des prêts octroyés par la Banque mondiale a servi à mener des politiques qui ont provoqué des dégâts sociaux et environnementaux considérables (grands barrages souvent inefficaces industries extractives comme des mines à ciel ouvert et des oléoducs agriculture dâaaexportation et abandon de la souveraineté alimentaire, etc.), dans le but faciliter lâaaaccès à moindre coût aux richesses naturelles du Sud ;
- après la crise de la dette de 1982, la Banque mondiale a soutenu les politiques dâaaajustement structurel promues par les grandes puissances et le FMI, conduisant à une réduction drastique des budgets sociaux, la suppression des subventions aux produits de base, des privatisations massives une fiscalité qui aggrave les inégalités une libéralisation forcenée de lâaaéconomie et une mise en concurrence déloyale des producteurs locaux avec les grandes multinationales mesures qui ont gravement détérioré les conditions de vie des populations et vont dans le sens dâaaune véritable colonisation économique ;
- la Banque mondiale a mené une politique qui reproduit la pauvreté et lâaaexclusion au lieu de la combattre, et les pays qui ont appliqué à la lettre ses prétendus remèdes se sont enfoncés dans la misère ; en Afrique, le nombre de personnes devant survivre avec moins de 1$ par jour a doublé depuis 1981, plus de 200 millions de personnes souffrent de la faim et pour 20 pays africains lâaaespérance de vie est passée sous la barre des 45 ans ;
- malgré les annonces tonitruantes le problème de la dette des pays du tiers-monde reste entier car loin dâaaune annulation totale, la Banque mondiale se contente dâaaécrémer la partie supérieure de la dette de quelques pays dociles sans toucher au mécanisme lui-même ; au lieu de représenter la fin dâaaune domination implacable, lâaaallégement de dette nâaaest quâaaun rideau de fumée qui dissimule en contrepartie des réformes économiques draconiennes dans la droite ligne de lâaaajustement structurel.
Dans ces conditions la situation est devenue explosive. Un évènement récent est de nature à allumer la mèche... Le président actuel de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, a reconnu être intervenu personnellement afin dâaaobtenir une forte augmentation de salaire (+45% !) pour sa compagne. Le Comité ad hoc de la Banque mondiale vient de lâaaentendre dans le cadre dâaaune enquête diligentée pour violation des règles internes.
Les déclarations se sont multipliées pour réclamer sa démission : lâaaassociation du personnel et dâaaanciens cadres de la Banque mondiale ; un des deux directeurs exécutifs le Néo-Zélandais Graeme Wheeler ; de hauts responsable du Parti démocrate aux Etats-Unis comme John Kerry ; des réseaux internationaux comme le CADTM ; le Parlement européen, etc. Mais le gouvernement des Etats-Unis continue de le soutenir coûte que coûte et en sâaaaccrochant à son poste, Wolfowitz lie son avenir à celui de la Banque mondiale elle-même.
Un mois après ces révélations aucune solution nâaaa été trouvée. Le passif de la Banque mondiale est bien trop lourd pour que lâaaon puisse accepter le statu quo. Dès lors une seule issue devient envisageable : lâaaabolition de la Banque mondiale et son remplacement dans le cadre dâaaune nouvelle architecture institutionnelle internationale. Un fonds mondial de développement, dans le cadre des Nations unies pourrait être relié à des Banques régionales de développement du Sud, directement dirigées par les gouvernements du Sud, fonctionnant de manière démocratique dans la transparence.
La voie est tracée et deux pavés viennent dâaaêtre jetés dans la mare néolibérale. Le Venezuela a annoncé le 30 avril dernier quâaail va quitter le FMI et la Banque mondiale. Quelques jours plus tôt, lâaaEquateur avait décidé lâaaexpulsion du représentant permanent de la Banque mondiale, Eduardo Somensatto. Car le président équatorien, Rafael Correa, a de la mémoire : en juillet 2005, alors quâaail était ministre de lâaaÃaconomie, il avait voulu réformer lâaautilisation des ressources pétrolières dont une partie, au lieu de servir au remboursement de la dette, devait servir aux dépenses sociales notamment pour les populations indiennes. En représailles la Banque mondiale avait bloqué un prêt de 100 millions de dollars et les pressions de Washington avaient contraint Correa à démissionner. Offensé, il avait déclaré que « personne nâaaavait le droit de punir un pays sâaail changeait ses lois ».
Rafael Correa a été élu démocratiquement à la présidence de lâaaEquateur en novembre 2006 et vient de remporter largement le référendum pour la convocation dâaaune assemblée constituante. En expulsant le représentant de la Banque mondiale, il veut réaffirmer la dignité et la souveraineté de lâaaEquateur face à une institution se permettant de violer systématiquement ses statuts qui lui interdisent toute interférence dans les affaires politiques intérieures dâaaun Etat membre.
Plusieurs pays latino-américains (Argentine, Bolivie, Brésil, Equateur, Paraguay, Venezuela) sont en train de jeter les bases de deux institutions fondamentalement nouvelles : un Fonds monétaire du Sud et une Banque du Sud. Différents experts dont plusieurs membres du CADTM, ont pris part à ces discussions qui visent une vraie modification du rapport de forces mondial, sur les décombres de la Banque mondiale...
Damien Millet,président du CADTM France (Comité pour lâaaannulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org), auteur de LâaaAfrique sans dette, CADTM/Syllepse, 2005.
Eric Toussaint, président du CADTM Belgique, auteur de Banque mondiale, le coup dâaaEtat permanent, CADTM/Syllepse, 2006.