« Le rêve européen a besoin du rêve méditerranée. Il sâaaest rétréci quand sâaaest brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute lâaaEurope sur les routes de lâaaOrient, le rêve qui attira vers le sud tant dâaaempereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un rêve de conquête quâaaun rêve de civilisation. »
Après cette énumération supposée rendre compte dâaaune glorieuse tradition incarnée par la France depuis des siècles et inlassablement défendue par tous ceux qui furent soucieux de défendre son rayonnement, le même ajoute : « Faire une politique de civilisation comme le voulaient les philosophes des Lumières comme essayaient de le faire les Républicains du temps de Jules Ferry. Faire une politique de civilisation pour répondre à la crise dâaaidentité, à la crise morale, au désarroi face à la mondialisation. Faire une politique de civilisation, voilà à quoi nous incite la Méditerranée où tout fût toujours grand, les passions aussi bien que les crimes où ne rien fut jamais médiocre, où même les Républiques marchandes brillèrent dans le ciel de lâaaart et de la pensée, où le génie humain sâaaéleva si haut quâaail est impossible de se résigner à croire que la source en est définitivement tarie. La source nâaaest pas tarie. Il suffit dâaaunir nos forces et tout recommencera. » Quel est auteur de ces lignes qui se veulent inspirées alors quâaaelles ne font que reprendre la plus commune des vulgates destinée à légitimer les « aventures » coloniales de la France i Un ministre des Colonies de la Troisième République i Un membre de la défunte Académie des « sciences coloniales » i Un nostalgique de lâaaAlgérie francaise qui les aurait rédigées pour prononcer un discours destiné à célébrer cette période réputée faste où la France commandait à 70 millions « dâaaindigènes » répartis sur 13 millions de kilomètres carrés i
Non, lâaaauteur de cette prose, aussi mythologique quâaaapologétique de la colonisation, nâaaest autre que Nicolas Sarkozy qui a prononcé ces fortes paroles en tant que ministre-candidat lors dâaaun meeting à Toulon le 7 février 2007.
Singulièrement passée sous silence par la plupart des médias et des autres dirigeant(e)s politiques engagés dans les élections présidentielles cette intervention confirme que la réhabilitation du passé colonial de la France nâaaest pas une embardée conjoncturelle de lâaaactuelle majorité et de son principal représentant. Au contraire, cette réhabilitation, sans précédent depuis la fin de la guerre dâaaAlgérie, sâaainscrit dans un projet politique cohérent, systématique et crânement assumé par le candidat de lâaaUMP désormais chef de lâaaEtat francais. Pour des motifs partisans et pour défendre ce que ce dernier croit être lâaahonneur de la France et de ses citoyens il se fait donc porte-parole dâaaune histoire officielle, mensongère et révisionniste des causes qui ont conduit à la construction de lâaaempire francais érigé par de nombreuses guerres de conquête, puis dirigé par des institutions coloniales racistes et discriminatoires. En témoigne, notamment, le statut des « indigènes », considérés alors non comme des citoyens libres et égaux mais comme des « sujets francais » privés des droits et libertés démocratiques élémentaires et soumis qui plus est, à des dispositions répressives âaa le Code de lâaaindigénat, entre autres âaa qui ne pesaient que sur eux. Sous le prétexte fallacieux de lutter contre on ne sait quelle « pensée unique » et désir de « repentance », lesquels nâaaexistent que dans lâaaesprit de Sarkozy et de ceux qui ont forgé ces pseudo-concepts grossiers sur le plan intellectuel sâaaentend, pour mieux faire croire à leur propre courage et originalité, on assiste donc à une instrumentalisation spectaculaire du passé colonial de la France. Manipuler cette histoire par la surexposition de certains de ses aspects « positifs » supposés âaa la colonisation au nom de la civilisation par exemple -, par lâaaeuphémisation ou la sous-estimation des crimes contre lâaahumanité et des crimes de guerre commis au cours de cette longue période de lâaaempire colonial, et par lâaaoccultation enfin de lâaaoppression et de lâaaexploitation imposées à ceux quâaaon appelait alors avec mépris « les indigènes », tels sont les ressorts principaux de cette opération. Moderne et audacieux Sarkozy i De tels discours nous ramènent au plus convenu de la doxa officielle forgée sous la Troisième République. Quel est lâaaadjectif qualificatif adéquat à cette opération qui repose sur un mépris souverain de lâaahistoire et des innombrables victimes des guerres et des répressions coloniales i Réactionnaire, assurément.
Jamais depuis des décennies un candidat soutenu par le plus important parti de la droite parlementaire ne sâaaétait engagé dans cette voie. Stupéfiante involution. Elle témoigne dâaaune radicalisation significative des discours élaborés sur ces questions par lâaaUMP et son représentant en même temps quâaaelle légitime et banalise des thèmes qui nâaaétaient jusque-là défendus que par lâaaextrême-droite et quelques associations de nostalgiques de la période coloniale. Pour les amateurs dâaaexception francaise, en voilà une remarquable mais sinistre car la France est le seul Etat démocratique et la seule ancienne puissance impériale européenne où lâaaun des principaux candidats à lâaaélection présidentielle ose tenir de pareils propos. A quoi sâaaajoute le fait que ce pays est également le seul où une loi âaa celle du 23 février 2005 âaa, toujours en vigueur en dépit du tour de passe-passe politico-juridique du Président de la République, sanctionne une interprétation officielle de ce passé colonial. « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à lâaaÅauvre accomplie par la France dans les anciens départements francais dâaaAlgérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté francaise. » Telle est, en effet, la première phrase de lâaaArticle 1 de ce texte voté par lâaaUMP et lâaaUDF au terme de débats où Rudy Salles le très officiel porte-parole de cette dernière formation politique à lâaaAssemblée nationale, a joué un rôle particulièrement actif. Quâaaen pense Francois Bayrou lui qui prétend dépasser le clivage gauche/droite et incarner une autre facon de faire de la politique i Il nâaaest pas besoin dâaaêtre un brillant philologue pour comprendre que le terme Åauvre, employé dans ce contexte, emporte une appréciation évidemment positive de la période considérée. Face à cette offensive politique, engagée depuis longtemps par les diverses composantes de la droite parlementaire, notamment, et son principal représentant que comptent faire les dirigeants de la gauche parlementaire et radicale i Ils doivent le faire savoir au plus vite.
Olivier Le Cour Grandmaison.
Enseignant à lâaaUniversité dâaaEvry-Val-dâaaEssonne.
Auteur de « Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et lâaaEtat colonial », Fayard, 2005.