jeudi 21 novembre 2024

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Langues de Kanaky

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La course contre la montre des Kanaks LE MONDE | 25.08.05 | 13h48 âa¢ Mis à jour le 25.08.05 | 17h18 NOUMÃaA de notre correspondante


Quelque 3 000 ans après son premier peuplement, la Nouvelle-Calédonie abrite encore 28 langues locales qui appartiennent à la famille austronésienne. "Elles ont toutes une même langue mère qui était parlée il y a environ 6 000 ans par des tribus de Taïwan", explique Jacques Vernaudon, maître de conférences en linguistique océanienne à l'université de Nouvelle-Calédonie. Mais seules cinq langues ont plus de 5 000 locuteurs avec, en tête, le drehu, langue de Lifou parlée par environ 17 000 personnes et le nengone de Maré. Au bas de l'échelle, le sishëë, avec quatre locuteurs rescapés. Le waamwang, parlé dans deux villages du Nord, n'a pas survécu.


Au Centre culturel Tjibaou, la course contre la montre est lancée. "Grâce à des conventions avec les conseils d'aires coutumiers on collecte auprès des tribus les savoirs traditionnels. Il faut sauvegarder notre patrimoine oral, en train de disparaître et rendu inopérant par la vie contemporaine", explique Emmanuel Tjibaou, responsable du département patrimoine et recherche. Fils du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, assassiné en 1989, Emmanuel Tjibaou juge ce travail "indispensable face à une transmission qui ne se fait plus dans une société sans tradition d'écriture". Trois contes bilingues ont été publiés pour ouvrir les enfants kanaks au livre, encore trop souvent considéré "comme l'objet des Blancs". En province Nord, les noms en langue kanake des lieux sont recensés et rétablis. Ces initiatives découlent de l'accord de Nouméa de 1998, qui déclare que "les langues kanakes sont, avec le francais des langues d'enseignement et de culture". Une académie des langues kanakes est prévue par le texte, qui prône aussi leur usage dans les médias. IDIOMES INDIGÃaNES En 1969, trois jeunes militants kanaks ont été emprisonnés pour avoir distribué des tracts dans leur langue. A la rentrée scolaire de 1985, les indépendantistes du FLNKS avaient appelé au "boycott des écoles coloniales" au profit des "écoles populaires kanakes" où l'enseignement était dispensé en langue maternelle. Parler la langue est alors un acte militant qui puise sa détermination dans les premières heures de la colonisation (1853), où les "idiomes indigènes" sont interdits à l'école et dans toute publication. Solidement implantés dans les tribus les missionnaires s'appuyant sur ces langues pour évangéliser et enseignant dans les écoles indigènes ont joué un rôle déterminant dans leur survivance. En 1999, avec l'appui de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Langues O'), un DEUG langues et cultures régionales pour les quatre langues déjà présentes au baccalauréat, a été créé à l'université. La licence a vu le jour en 2001, et ses premiers diplômés ont participé à une expérimentation pour former des enseignants spécialisés dans certaines langues kanakes. Dix écoles et 210 élèves ont été concernés par ce projet, dont les résultats sont qualifiés en 2005, de "très encourageants". "L'enjeu se situe tant au niveau de la lutte contre l'échec scolaire, largement plus important chez les Kanaks que dans les autres communautés que de la sauvegarde du patrimoine linguistique et culturel", affirme Chantal Mandaoué, directrice de l'institut de formation des maîtres (IFM), qui a piloté l'opération. L'expérience ne sera pourtant pas reconduite, du fait de l'absence de statut pour ces enseignants. Déplorant l'immobilisme des autorités locales les étudiants de la filière ont formé un collectif pour réclamer la création d'un statut de professeur des écoles spécialisé en langues régionales. "Il faut qu'on arrête de bricoler pour enseigner les langues", assène Jacques Vernaudon. L'humeur demeure malgré tout optimiste : "La question est aujourd'hui dépolitisée. Avant, enseigner les langues kanakes revenait à fabriquer des indépendantistes. On en est sorti", se félicite Chantal Mandaoué.


Claudine Wéry


Article paru dans l'édition du 26.08.05


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