mardi 25 mars 2008
Une question se pose propos des récents événements en Nouvelle-Calédonie : le syndicalisme y est-il autorisé ?
Le 17 janvier, un rassemblement de 200 personnes est violemment dispersé par les forces de lâordre : 200 policiers et gendarmes, soit un par manifestant ! Bilan : 20 blessés, dont cinq gravement chez les manifestants, cinquante interpellations. Dix syndicalistes sont emprisonnés, puis cinq autres arrêtés les jours suivants. Ils resteront cinq semaines la prison du Camp-Est. Jusquâ ce que les juges reconnaissent lâirrégularité de la procédure et les libèrent en attendant le jugement au fond. Les dirigeants syndicaux qui avaient échappé aux arrestations ont été spectaculairement recherchés : interventions dâagents masqués du GIPN (équivalent policier du GIGN), perquisitions musclées des domiciles, encerclement des locaux syndicaux. Bref, un déploiement policier qui rappelle inévitablement des moments peu glorieux de lâhistoire coloniale.
Quâont-ils fait ? Une chose grave assurément, très grave en Nouvelle-Calédonie : ils font grève. Le rassemblement réprimé manifestait sa solidarité avec les grévistes de Carsud en lutte depuis quatre mois. Ils demandent la réintégration dâun chauffeur, délégué syndical, qui a été licencié. Carsud est une entreprise de transport du groupe Veolia. Depuis le début du conflit neuf autres syndicalistes ont été licenciés. Ils sont membres de lâUSTKE (Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités), principale organisation syndicale de Nouvelle-Calédonie.
La visite de Christian Estrosi, secrétaire dâEtat lâOutre-Mer, en octobre 2007, est restée dans les mémoires. Il avait eu peu de temps pour discuter et sâétait fait filmer nageant dans le lagon. Rafraîchi mais importuné par le bruit dâun barbecue organisé par lâUSTKE en contrepoint de la réception officielle, il avait demandé au préfet, haut-commissaire, de faire intervenir les gendarmes. Le préfet, affichant sa réticence, a été remplacé par le directeur de cabinet dâEstrosi, Yves Dassonville. Lâépisode peut être imputé lâincompétence du secrétaire dâEtat. Sa méconnaissance des réalités locales avait frappé y compris ses amis politiques. Mais un train peut en cacher un autre. Répression antisyndicale dans lâentreprise ; répression antisyndicale lâextérieur par les pouvoirs publics. La conjugaison est trop spectaculaire pour ne pas suggérer une action concertée. Veut-on briser lâUSTKE ?
Voici quelques années déj , des groupes dâinvestisseurs potentiels avaient exercé de fortes pressions pour que le droit syndical soit le plus réduit possible. Les richesses locales, le nickel allèchent les firmes transnationales. Et lâexistence dâun syndicalisme combatif énerve. Dâautant plus lorsquâil se mêle aussi de défendre lâécologie en soutenant les luttes contre les formes les plus polluantes de lâexploitation minière. On comprend que Dassonville qualifie ses militants de «voyous».
Une autre question peut alors venir lâesprit. Dans une visite éclair, le ministre mande la gendarmerie contre un barbecue, contre lâavis du préfet et proclame la cantonade que la Nouvelle-Calédonie doit rester française ; le nouveau haut- commissaire parle des «voyous» et manie la provocation policière : sâagit-il seulement de répression antisyndicale ? Les raisons qui commandent celle-ci peuvent conduire une autre décision stratégique : jouer la tension et lâaffrontement pour remettre en question les accords de Nouméa. Les intérêts qui sâaccommodent mal du syndicalisme peuvent sâagacer aussi de lâautodétermination. Les remises en cause des deux pourraient se combiner harmonieusement, sous les vivats de la droite néo-calédonienne. En tout état de cause, 18 syndicalistes seront jugés le 25 mars Nouméa. 32 autres le seront le 31 mars. Les médias restent silencieux.
http://www.liberation.fr/rebonds/317407.FR.php
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