Un équilibre relatif et fragile des forces se maintient en Nouvelle-Calédonie depuis la signature des Accords de Matignon et dâaaOudinot en 1988 et de lâaaAccord de Nouméa en 1998, lui-même ratifié par un référendum local (72 % de suffrages favorables). En 2007, lâaaune des plus pressantes exigences indépendantistes (la limitation du corps électoral, pour les élections territoriales et provinciales aux seules personnes ayant voté en 1998 et à leurs descendants) a fait lâaaobjet dâaaune modification de la Constitution francaise, ratifiée en congrès à Versailles. Quelle mouche a piqué le ministre de lâaaOutre-Mer pour mettre en péril cette architecture institutionnelle patiemment construite et garante jusquâaaà présent de la paix sur le « caillou » i Christian Estrosi a, ces dernières semaines renoué avec les pires attitudes coloniales lors dâaaune visite tambour battant à Nouméa et en quelques lieux phares de la Grande Terre et des îles Loyauté. Nâaaaccordant que quelques minutes à chacun de ses interlocuteurs quâaail sâaaagisse de présidents des Provinces de chercheurs ou de responsables politiques il a préféré piquer une tête dans le lagon devant les caméras de télévision. Sur fond de climat social difficile en Nouvelle-Calédonie, M. Estrosi nâaaa rien trouvé de mieux que dâaaintimer lâaaordre au préfet de Nouvelle-Calédonie de faire donner les gendarmes contre un barbecue bruyant organisé à Nouméa par lâaaUSTKE (principale force syndicale) en contrepoint dâaaune réception officielle à laquelle il participait. Le préfet, Michel Mathieu, représentant de lâaaÃatat dans lâaaarchipel et à ce titre garant de lâaaordre public, sâaay est opposé et a démissionné le 13 octobre.
Pour toute analyse de la situation calédonienne, Christian Estrosi nâaaa cessé de répéter à la cantonade quâaaavant tout la Nouvelle-Calédonie devait rester francaise. Multipliant les invectives et les rodomontades à lâaaencontre de toute la classe politique calédonienne, le ministre a brillé par sa méconnaissance totale du dossier, au point dâaainquiéter vivement tous les partenaires de lâaaAccord quant à la politique que le président de la République entend mener en Nouvelle-Calédonie.
Les chefs de lâaaUMP locale lui avaient sans doute monté la tête en ce sens. Plus grave, Christian Estrosi sâaaest senti dâaaautant plus enclin à de telles gesticulations que Nicolas Sarkozy avait cru bon, en 2006, avant dâaaadopter durant sa campagne une position plus ambiguë, de lancer au président de la Province Nord, Paul Néaoutyine, quâaaune fois élu il « remettrait tout à plat ». Le leader indépendantiste lui avait répondu : « Dans ce cas nous saurons remettre les pendules à lâaaheure. » En reprenant le même ton, le ministre de lâaaOutre-mer sème un doute profond sur la volonté du gouvernement francais de respecter lâaaAccord de Nouméa. Reviendrait-on à lâaaaveuglement dâaaun Bernard Pons de triste mémoire, qui, il y a vingt ans mit le pays à feu et à sang jusquâaaà provoquer le drame dâaaOuvéa i Venant de lâaaÃatat, tout propos partial en Nouvelle-Calédonie réveille le souvenir de cette période dramatique et ravive les tensions.
Lâaaélection présidentielle a déjà remis face à face les indépendantistes (soutenant Ségolène Royal) et leurs adversaires qui se sont ralliés massivement à Nicolas Sarkozy. Lâaaarrivée de France ces dernières années en rangs serrés dâaaune population qui ne rêve que dâaaargent et de soleil au mépris des spécificités politiques calédoniennes et le retard pris dans lâaaapplication des dispositions de lâaaAccord de Nouméa (transfert de compétences choix de nouveaux signes identitaires préparation à lâaahorizon 2012 dâaaune série de référendums dâaaautodétermination) accroissent encore le climat dâaaincertitude sur le caillou. Dans ce contexte où chacun est à vif, il est particulièrement dangereux de revenir en arrière et de sâaaopposer au processus prévu par lâaaAccord de Nouméa.
Mais les réflexes coloniaux sont, semble-t-il, bien ancrés dans lâaaentourage du président de la République. Les coups de menton de Christian Estrosi font tristement écho à lâaaamendement vichyste sur les tests ADN, à lâaaexaltation dâaaune « identité francaise » plus biologique quâaahistorique et au refus de toute repentance pour les crimes commis par la France vis-à -vis des Juifs et au sein de son ex-empire colonial. Le séjour tonitruant du ministre de lâaaOutre-mer en Nouvelle-Calédonie, loin dâaaêtre un épiphénomène, nous révèle la face la plus sombre du sarkozysme, celle qui unit la droite et lâaaextrême droite, dans un bonapartisme autoritaire qui nâaaentend rien aux droits des peuples à sâaaautodéterminer et veut imposer aux réalités locales de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique une logique francaise à sens unique.
- Alban Bensa: Directeur dâaaétudes à lâaaÃacole des hautes études en sciences sociales. Il a récemment publié la Fin de lâaaexotisme. Essais dâaaanthropologie critique, Anacharsis 2006.
Article paru dans le journal Politis jeudi 25 octobre 2007
http://www.politis.fr/Nouvelle-Caledonie-le-retour-du,2179.html